jeudi 10 octobre 2013

Le scandale du financement de l’aide juridictionnelle


Mission régalienne par excellence de l’Etat, la justice représente une goutte d’eau dans le budget de l’état. En effet, le budget allouée à la justice (prisons, salaires des personnels, locaux, protection de l’enfance, aide aux victimes, aide juridictionnelle…) est de 7,7 Milliards d’euros. C’est-à-dire moins que pour l’écologie et le développement durable (8,4 Milliards), domaine loin d’être régalien.


Pour comparer cela avec les autres pays d’Europe, nous sommes classés au 37e rang sur 40. Et si l’on s’intéresse aux pays semblables à la France, ils consacrent deux fois plus d’argent à cette mission (0,40% du PIB/habitant pour l’Allemagne, et 0,43% pour le Royaume-Uni). Ces pays ont également le double de magistrats (soit 20 pour 100.000 habitants[1]), ce qui théoriquement devrait au moins garantir une justice deux fois plus rapide que la nôtre, et quand on sait que la célérité de la justice française n’est pas vraiment la marque de fabrique de notre institution si je peux me permettre l’euphémisme, on comprend dès lors l’urgence qu’il y a pour le pays à revenir à ses fondamentaux.

C’est dans ce contexte déjà tendu et démoralisant que les avocats ont appris la baisse programmée du budget alloué à l’Aide Juridictionnelle, ce qui a conduit à une journée de manifestations vendredi dernier.

Alors qu’est-ce que cette Aide Juridictionnelle ?


Pour faire très simple l’Aide Juridictionnelle, c’est ce qui ressemble au « commis d’office » dans les films américains. Quand vous êtes pauvre, il serait profondément injuste de vous laisser seul sans avocat, et donc sans une défense équitable: les hommes ne sont-ils pas égaux en droit? L’article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme y veille, ainsi que l’article 16 de la déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen de 1789, et la déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par l’ONU. 

En accord avec ce socle solide de grands principes de la justice, la France a développé le mécanisme de l’Aide Juridictionnelle : Les personnes aux faibles ressources (moins de 929 € pour l’Aide Juridictionnelle totale, et jusqu’à 1393€/mois maximum pour l’Aide Juridictionnelle partielle. Notez que ces conditions de ressources peuvent être revues légèrement à la hausse si vous avez un enfant par exemple) voient tout ou partie de leurs frais d’avocat, de notaire, d’expertise ou d’huissier pris en charge par l’Etat.

Chaque type d’affaires, donne forfaitairement droit à un certains nombres d’UV (Unité de valeur) valant 24,54€ l’unité pour l’AJ totale et 22,50€ pour l’AJ partielle. Ainsi, les auxiliaires de justice sont dédommagés après leur mission en fonction d’un barème précis.

Par exemple, pour un divorce par consentement mutuel à l’AJ totale, l’avocat percevra 30 UV, soit 736,20 euros TTC (ce qui est très souvent inférieur au SMIC horaire au final). Ce tarif est entre 2 et 3 fois inférieur au tarif moyen du marché (hors cas spécial du low cost sur internet). La même logique de sous-tarification est présente pour toutes les procédures. En soit, cela n’est pas un problème si l’on considère qu’il s’agit d’une mission d’un intérêt spécial et qu’en l’absence de ce mécanisme, les justiciables n’auraient même pas engagés de procédure.

Cependant, cela peut se révéler problématique dans les domaines très peu rémunérateurs (droit des étrangers…) ou dans les zones très touchées par la pauvreté. Travailler exclusivement à l’AJ fera de vous un saint, mais aussi un SMICard, ce qui pose donc d’une autre manière un problème d’accès à la justice (certains cabinets d’avocats refusent de travailler à l’AJ).

Qui paye l’Aide Juridictionnelle ?

Cette question soulève une anomalie flagrante, et qui selon moi est scandaleuse, car son financement est contraire à l’égalité d’accès à la justice. 

En effet, pour financer l’Aide Juridictionnelle, les personnes qui ne n’en bénéficient pas, doivent s’acquitter d’une timbre fiscal de 35€ pour introduire leur instance en matière civile, commerciale, prud’homale, sociale, rurale devant une juridiction judiciaire et pour toute instance introduite devant une juridiction administrative[2]. Oui, vous avez bien lu pour accéder à la justice vous devez payer en plus de vos impôts, alors que la justice concerne tout le monde. Demande-t-on un timbre fiscal lorsque l’on va déposer plainte ? Demande-t-on un timbre fiscal à la victime qui fait appel aux pompiers ? Demande-t-on un timbre fiscal au juge qui envoie un condamné en détention ?

En plus, grâce à ce fantastique mécanisme du timbre fiscal, 4% de la somme est réservée aux buralistes. Et ne vous croyez pas mieux lotis en achetant votre timbre électronique, 5% sont destinés aux banques.

Ce système est pour le moins curieux, d’autant que le montant des sommes versées est insuffisant au financement complet de l’Aide Juridictionnelle.

C’est pourquoi depuis environ 1 an une réforme de son financement est envisagée par Christiane Taubira. Outre la baisse qui fait grincer des dents du budget alloué à l’Aide Juridictionnelle (308 Millions d’euros, soit 32 Millions de baisse par rapport à 2013), il est clairement envisagé une taxe de 0,2% sur le chiffre d’affaires des avocats[3].

Avec une telle logique, demain, il pourrait être possible que les policiers soient spécialement taxés sur leurs revenus pour financer leur mission…

Pour l’instant devant la mobilisation des avocats, Madame Taubira a annoncé le report de sa réforme à 2015. Surement l’un des effets secondaires des élections municipales qui s’annoncent et qui ont hypocritement permis aux politiciens de prendre conscience de l’existence d’un « ras le bol fiscal » qu’ils comprennent parfaitement, évidement…



[1] Chiffres issus de ce rapport : http://www.coe.int/t/dghl/cooperation/cepej/evaluation/2010/2010_pays_comparables.pdf
[2] Article 1635 bis Q du Code Général des Impôts.
[3] Rapport Darrois qui sert de base à la réforme présentée